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19 mai 2012 6 19 /05 /mai /2012 18:59

Simon et l’Eurostar

 

Simon a la trentaine tranquille, il est maigre, courtois et parfois désespéré.  Après une scolarité plutôt sommaire et un père violent qu’il fuit dès qu’il le peut, il essaie de se tenir debout dans les remous de ce siècle. Il a appris à travailler le bois ‘comme autrefois’ mais ne trouve pas de travail. Simon reçoit le RMI. et a trouvé un petit studio dans un bon environnement, que l’APL aide à payer.

 

Simon prend le train sans billet car il n’a plus d’argent en poche et c’est l’anniversaire de son fils. Le contrôleur fait ce que doivent faire les contrôleurs : il contrôle et découvre le délit. Amende. Que Simon ne paie pas parce qu’il n’a pas plus d’argent pour une amende que pour un billet de train. Les petites lettres concernant les pénalités lui échappent et d’ailleurs, la lecture et lui…

 

Sa logeuse lui transmet régulièrement son courrier, car il n’a pas de boîte à lettres à lui – les pauvres, vous savez, ça n’a pas besoin de vie privée. Un jour, en l’absence de son locataire, le facteur lui fait signer pour la réception d’une quinzaine de plis recommandés envoyés par la SNCF. Simon lui raconte toute l’histoire. ‘Simon, ce n’est pas possible, dit-elle, je m’en occupe’. Elle écrit une longue lettre au bureau compétent de la SNCF, sur ordinateur pour que ce soit bien lisible, expliquant la situation de son locataire, brossant son portrait de jeune homme effacé et tranquille qui suit une nouvelle formation et espère obtenir un emploi. Elle demande ce qu’il faut faire pour éviter l’accumulation de pénalités  qu’il sera encore moins en mesure de régler que l’amende d’origine. Vous me suivez toujours ?

 

Pas de réponse. Et la SNCF continue d’envoyer des lettres recommandées avec accusé de réception (à combien se monte le poste budgétaire pour ce service aux clients ?). Et des gendarmes passent pour poser des questions au gardien de l’immeuble, puis se présentent chez sa logeuse. ‘On doit juste vérifier s’il habite ici, c’est pour le vol de sa voiture’ inventent-ils, gênés (espérons-le au moins). Simon n’a jamais eu de voiture, dit sa logeuse. Ah bon. Au revoir madame.

 

Simon est hospitalisé pour anorexie, il n’a plus que la peau sur les os. ‘Je n’arrive plus à avaler quoi que ce soit’, dit-il. Trois jours après, se présente l’huissier en complet veston, dûment mandaté pour procéder à la mise sous séquestre de ses maigres biens personnels. Puisque Simon est à l’hôpital, l’huissier promet de revenir avec un serrurier. Il revient. Avec quatre serruriers. Inutiles, puisque sa logeuse produit une clef et ouvre la porte du studio. C’est le dénuement total.

 

Simon revient de l’hôpital avec cinq kilos (et un petit peu de courage) en plus. Jusqu’au moment où il passe au bureau de la Poste pour retirer de l’argent de son compte où est versé le RMI. Ah non, monsieur, dit la postière, votre compte est bloqué. Bloqué ? Oui monsieur, bloqué. Donc, je ne peux pas retirer de l’argent pour acheter du pain ? Non, monsieur, je regrette.

 

Dans la vraie vie, celle de la radio et de la télé,  on apprend que l’Eurostar sera modernisé, y compris – on y met l’accent à la radio – les uniformes du personnel de service (c’est vrai qu’un train rapide avec une hôtesse joliment habillée c’est autre chose que l’anpe…), pour un montant dépassant les 300 millions de francs. TROIS CENT MILLIONS DE FRANCS.

Simon ne s’appelle pas Simon, mais vous vous en étiez déjà douté, n’est-ce pas ?

 

Lille, le 26 juin 2001

 

Jeanne Bukowska (à ne pas faire figurer s’il vous plaît)         tél/fax 03 20 74 03 87

                                                                                               e-mail : bukowski59@aol.com

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